Christophe Barbier, dans son éditorial de l'Express du 20 janvier 2010, considère qu'il est légitime de la part d'Air France de faire payer deux places aux obèses qui ne parviennent pas à s'insérer dans un seul fauteuil de classe économique des avions de la compagnie.
Son argumentation est la suivante : il y aurait deux sortes d'obèses, ceux qui sont des victimes d'un handicap génétique, qui sont donc des malades, et ceux qui seraient responsables de leur poids. Ces derniers seraient gros en raison d'un manque de volonté donnant lieu à des comportements alimentaires dérégulés et il serait donc légitime qu'ils paient.
Monsieur Barbier aurait sans doute mieux fait de retourner sept fois sa langue dans sa bouche ! Il s'avère avoir tort à de multiples niveaux.
Tout d'abord, Monsieur Barbier semble oublier que l'humanité est composée de personnes aux physiques variés : il y a des blancs, des jaunes, des noirs, des bigarrés, des grands, des moyens et des petits, des beaux et des laids, des gros et des minces, des personnes en bonne santé et des personnes souffrant de handicaps, et aussi, ainsi que nous pouvons le constater, des intelligents et des sots. Les lois actuellement en vigueur dans nos pays imposent que l'on accorde à toutes ces personnes les mêmes droits, et déclarent hors-la-loi toute discrimination pour des caractéristiques physiques.
Air France est une compagnie de transport aérien qui se fait fort de transporter des personnes humaines d'un point à un autre dans des conditions qui respectent leur statut d'être humain. Il ne s'agit ni d'un transport de marchandises, ni d'un transport de bétail. Elle se doit donc de tenir compte de la diversité humaine, de proposer des places adaptées aux femmes enceintes ou avec bébé, aux invalides, aux grands et aux gros. C'est au transporteur de s'adapter aux différentes conformations humaines et non pas aux êtres humains de s'adapter aux sièges d'Air France !
Monsieur Barbier nous assène que maigrir est affaire de volonté et que les gros en seraient donc dépourvus. Il reprend en cela les stéréotypes les plus navrants. L'obèse serait, selon ces stéréotypes, moins intelligent, moins volontaire, plus dépendant, plus passif, plus poussif que les personnes minces comme des barbiers.
Notre Barbier montre en cela son ignorance. Les études psychologiques menées ont toutes montré que les personnes obèses ne se distinguaient pas par un profil de personnalité particulier, ou une perte de points de QI.
Mais peut-être Monsieur Barbier en a-t-il après les qualité morales des personnes en surcharge pondérale ? Ne seraient-elles pas gourmandes, par hasard, et ne serait-ce pas là un des sept péchés capitaux ? Il se trouve que là encore, Monsieur Barbier n'a pas la vue très claire. Tout d'abord, bien des personnes en surpoids ont une consommation alimentaire ordinaire, voire en dessous de la moyenne, du fait d'un métabolisme abaissé. De plus, ce n'est pas dans leur gourmandise que s'origine leur gloutonnerie, lorsqu'elle existe, mais dans la souffrance.
La souffrance, Monsieur Barbier, la souffrance. La souffrance conduit à manger, et manger conduit à la souffrance, en particulier en raison de la prolifération des barbiers. Telle est la vie de l'obèse.
Le croiriez-vous, Monsieur Barbier, l'immense majorité des gros ne l'est pas par mauvaise volonté. Elle préférerait être mince comme un barbier. Elle s'acharne d'ailleurs à le devenir, elle y use sa vie, presque toujours sans succès.
Pourquoi, sans succès ? Parce que, comme vous le sauriez si vous parcouriez notre site, l'affaire est complexe. On est gros pour des motifs génétiques, physiologiques et neurophysiologiques, psychologiques, affectifs, sociaux. Il n'existe à ce jour aucune méthode simple, efficace dans la durée, généralisable à une population, qui permette de maigrir durablement. Pas de médicament efficace, pas de régime efficace, pas même de volonté efficace. Il n'existe que des chemins étroits, incertains, ardus, des solutions peu répandues et qui ne donnent pas de résultats à coup sûr, que nous nous efforçons quant à nous de mettre en uvre avec nos patients, le plus honnêtement possible.
Ah, que j'aimerais que vous ayez raison, Monsieur Barbier. On aurait un peu de volonté, on ferait un petit régime, acte de contrition pour ses péchés alimentaires, et hop, on serait mince comme barbier. On monterait alors dans l'avion, on serait en route pour le ciel.
Malheureusement, malgré les flagellations alimentaires, malgré le volontarisme forcené, le corps résiste, et le mental aussi.
Monsieur Barbier, vous qui êtes au ciel, au Paradis des minces, s'il vous plaît, ne fustigez pas ceux qui aspirent tant à vous ressembler. Priez pour les gros qui désirent tant vous rejoindre à 30.000 pieds de haut, dans un seul siège.
Texte de Gérard Apfeldorfer - Psychiatre et psychothérapeute spécialisé dans l'étude des comportements alimentaires et dans le traitement de ses dysfonctionnements.
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